7 janvier 2021 / Nina Soyez (Reporterre)
Les rejets séculaires en métaux lourds ont fait de l’ancienne fonderie le site industriel le plus pollué de France à sa fermeture. L’État a fait preuve de « complicité » dans cette gigantesque pollution dont les effets sont toujours présents, selon l’avocat des habitants qui se battent pour en faire reconnaître les dommages.
Noyelles-Godault, Courcelles-lès-Lens et Dourges (Pas-de-Calais), reportage
L’histoire de Metaleurop ressemble à celle d’une usine du bassin minier comme on en connaît tant d’autres : florissante à l’âge industriel, dévastatrice à sa fermeture. Implantée depuis 1894 sur les communes de Noyelles-Godault et Courcelles-lès-Lens, à une dizaine de kilomètres de Douai, Metaleurop a été un fleuron de l’industrie métallurgique française. Sa production colossale pouvait monter jusqu’à 130.000 tonnes de plomb et 100.000 de zinc par an.
Les anciennes générations ont grandi avec ses épaisses fumées noires qui sortaient au loin de l’emblématique cheminée de cent mètres de haut. En 2003, sa fermeture brutale « sans préavis ni
plan social » annoncée par communiqué — Jacques Chirac qualifia alors ses représentants de « patrons voyous » — laissa sur le carreau plus de 800 salariés.
Tableau de mesures d’une partie des métaux lourds rejetés par Metaleurop depuis 1970.
De son aspect physique, il ne reste rien de l’usine. Suez a repris le site et mis en place une activité de « recyclage et valorisation », en partie de déchets dangereux, comme on peut le lire sur le panneau de l’entrée. Mais il reste la trace indélébile de la pollution, considérable, de Metaleurop. Dans un point d’information de 2001, la Dreal (direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) fait état de « 18,3 tonnes de plomb canalisé, […] 10 à 15 tonnes de rejets diffus, 0,8 tonne de cadmium, 26 tonnes de zinc et 6.800 tonnes de dioxyde de soufre », causant « une pollution des sols d’une ampleur singulière ».
Ces résultats mettent alors en évidence la nécessité mais aussi l’urgence « que des mesures soient prises », écrit encore la Dreal. Seulement, il a fallu attendre près de trente ans après les premiers relevés, pour qu’elles commencent timidement à se mettre en place. « À la mine, on disait qu’il y avait la silicose, mais à Metaleurop on ne disait rien », se souvient Bruno Adolphi, habitant d’Évin-Malmaison — commune la plus exposée aux rejets de poussières de plomb de l’ancienne fonderie classée Seveso — et président de l’association Pour l’intérêt général des Évinois (PIGE) qui se bat pour faire reconnaître les nombreux préjudices causés par la pollution.
Bruno Adolphi devant le local de l’association PIGE à Évin-Malmaison.
Un nom qui fait référence au Plan d’intérêt général (PIG) mis en place en 1999 par les pouvoirs publics, et imposant des restrictions d’urbanisme, notamment dans l’utilisation des sols désormais reconnus pollués. Les hectares ont alors été divisés en deux zones : la zone 1 regroupant les concentrations les plus dangereuses de plomb, supérieures à 1.000 ppm (parties par million), tandis que la zone 2 indiquait les concentrations entre 500 ppm et 1.000 ppm.
Des frontières « utopiques » estime Bruno Adolphi, qui « contournaient les écoles, les mairies » et « n’avaient rien à voir avec la réalité ». Il montre du doigt le trottoir d’en face : « Vous voyez ce champ, là, il n’est pas pollué [selon le plan], mais l’habitation qui se trouve juste derrière l’est ! C’est aberrant. »
Pour le retraité, le PIG est aussi la preuve d’un manquement de la mission protectrice de l’État, qui aurait dû faire payer directement les responsables de cette pollution : « Une demande de servitude d’utilité publique (SUP) — définie aussi dans le code de l’urbanisme et qui aurait obligé Metaleurop à indemniser les habitants — a été prescrite en 1998. Mais le directeur de l’usine a demandé expressément au préfet de ne pas l’appliquer […] Metaleurop employait énormément de personnel, c’était plus ou moins du chantage à l’emploi ». Cinq ans plus tard, la liquidation de l’usine a enterré tout espoir de réparation de la part de l’exploitant.
Mesures prises dans le jardin de Bruno Adolphi et effectuées par l’ISA (Institut Supérieur d’Agriculture) en 2011-2012.
Quand Jean-Jacques Lenort a acheté sa maison en 2001 à Évin-Malmaison, le notaire lui avait simplement conseillé de « bien rincer ses légumes » s’il prévoyait de cultiver quoi que ce soit dans son jardin. Le PIG, il n’en a entendu parler qu’à la fermeture de l’usine, en 2003 : « On n’en parlait simplement pas. Personne n’a rien fait et on nous a tout caché », raconte l’Évinois qui voyait les fumées depuis sa cuisine. « Mais quand je fermais les volets, il y avait des odeurs qui picotaient les yeux. Ils dégazaient la nuit à l’insu des habitants. » De l’autre côté de l’autoroute, à Courcelles- lès-Lens, Georges Milan, ex-salarié de Metaleurop, vit au pied du site de l’ancienne usine. Après avoir traversé la période douloureuse « [qu’]il ne souhaite à personne » d’un licenciement brutal à quarante-cinq ans, il a « accusé le coup comme tout le monde » quand il a su que sa maison se trouvait sur le PIG. Mais pour lui, « l’État aurait dû agir il y a cinquante ans, quand la pollution avait lieu ».
En 2014, le PIG est étendu. Il s’étale désormais sur cinq communes et concerne 24.000 personnes : « Onze ans après, les concentrations en métaux lourds, et notamment en cadmium, étaient encore élevées », raconte Bruno Adolphi, qui a décidé alors de se mobiliser avec plusieurs riverains. « Notre première préoccupation a été de demander à la préfecture ce qu’elle mettait en place pour nous éviter des problèmes de santé. » En 2017, l’Agence régionale de santé (ARS) a été mandatée pour effectuer des analyses sur un échantillon d’habitants des trois communes les plus touchées. Résultat : près de 35 % des 927 personnes dépistées présentent des taux anormaux de cadmium. Selon l’ARS, la moyenne se rapproche de celle de l’ensemble du Nord- Pas-de-Calais et ne permet pas de souligner une « surimprégnation ».
Troubles rénaux et saturnisme
Seulement, de récentes études scientifiques internationales questionnent fortement ce résultat : la quantité de créatinine ayant servi de seuil pour définir la toxicité s’est avérée deux fois trop grande. Une exposition chronique peut pourtant entraîner de graves troubles rénaux et osseux. Avant le cadmium, les rejets de plomb avaient, eux, déjà causé des plombémies parfois deux fois supérieures à la moyenne chez des jeunes enfants. De nombreux cas de saturnisme ont aussi été détectés au fil des années.
Les batailles de l’association Pige ne s’en sont pas arrêtées là. La première victoire a été d’obtenir la prise en charge totale par l’État des frais du décapage des sols, devenu obligatoire depuis 2014 pour tout habitant souhaitant construire sur son terrain. En 2016, un « abattement Metaleurop » a été voté à l’Assemblée nationale, validant une baisse de 50 % de la taxe foncière pour l’ensemble des habitants vivant sur le PIG.
La même année, l’avocat de l’association, David Deharbe, du Cabinet Green Law, a suggéré d’engager une action en carence fautive de l’État : « Cette pollution a été rendue possible par celui qui contrôle l’exploitant et qui délivre les autorisations, explique-t-il. La pollution de Metaleurop a été singulière en ce qu’elle a été permise. On est face à une question de complicité de l’État. » Ainsi, quatre-vingt-cinq requérants, parmi lesquels Adolphi et Lenort, ont déposé un recours indemnitaire pour préjudice de santé, d’anxiété et immobilier.
Un recours pour préjudice écologique
Me Deharbe a aussi engagé un recours pour préjudice écologique « causé à la nature et au service que rend la nature à l’homme ». Une démarche qu’a également entreprise le président de la communauté d’agglomération d’Hénin-Carvin Christophe Pilch, qui souhaite faire reconnaître le « préjudice environnemental immense » que l’usine Metaleurop « a laissé derrière elle ».
Pour d’autres, le préjudice est économique. Les agriculteurs, un temps indemnisés, ne le sont plus. Avec l’agrandissement graduel du PIG, certains se sont retrouvés avec la majorité de leurs terres concernées. Leurs récoltes ne pouvant plus être utilisées, il a fallu s’adapter. Sur les bords de route, les champs d’herbe à éléphant, le miscanthus, reflètent les rayons de soleil sur leurs épis ocre. La plante herbacée, qui remplace désormais certaines cultures, sert majoritairement de combustible pour le chauffage.
L’herbe à éléphant, appelée miscanthus, est majoritairement utilisée comme combustible pour le chauffage.
Il a aussi fallu trouver d’autres voies. À Dourges, ville bordant l’ancien site industriel, un méthaniseur sera bientôt construit et alimenté à 70 % en plantes et céréales. « C’était la seule solution pour continuer à travailler », explique Denis Desrumeaux, agriculteur depuis trente ans à Flers-en-Escrebieux. À près d’une dizaine de kilomètres du site, 10 % de ses terres sont touchés par le PIG. Sur le plan, « le trait était tout droit, s’étonne l’agriculteur. Comme si la pollution s’arrêtait tout net. Mais ça doit être scientifique », ironise-t-il. Surtout que la pollution de ses terres, Denis Desrumeaux l’expliquerait plus facilement par l’usine Nyrstar, beaucoup plus proche que Metaleurop. Une usine métallurgique en fonctionnement depuis près d’un siècle et qui produit … du plomb et du zinc. « Mais on ne sait encore rien des risques. L’usine est toujours en activité. »
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